Quelques éléments de contexte

Avant de mettre en place des actions d’éco-conception concrètes, il nous est apparu indispensable de nous prêter à l’exercice de définition. Les articles sur le sujet sont nombreux et chaque source semble parfois avoir sa propre interprétation, liée à un contexte particulier.

D’une manière générale, l’éco-conception est une démarche pour produire des services plus vertueux en accord avec une démarche de développement durable souvent dans le cadre d’une politique RSE.

Aujourd’hui, dans l’esprit du grand public, un terme comme « développement durable » a pris une connotation presque exclusivement environnementale et très peu sociale. A l’inverse, la « politique RSE » d’une entreprise désigne quasiment une politique sociale.

Or, ces concepts, à savoir le développement durable et la politique RSE des entreprises, sont structurés autour de plusieurs piliers.

Les experts s’entendent à définir le développement durable autour de 3 domaines :

  • Social (personnes)
  • Environnement (planète)
  • Economie (profit)

La norme ISO 26000 définit la RSE autour de 7 piliers :

  • La gouvernance de l’entreprise
  • Les droits humains
  • Les relations et les conditions de travail
  • L’environnement
  • Les bonnes pratiques des affaires
  • Les questions liées aux consommateurs
  • Le développement local

Plusieurs organismes publics et privés de référence ont beaucoup œuvré pour intégrer ces différentes notions et proposer un terme qui couvre l’aspect social, environnemental et économique.

Actuellement, le terme “numérique responsable” ou “responsabilité numérique des entreprises (RNE)” est de plus en plus utilisé et compris par les acteurs référents du sujet, mais aussi par la société civile, les médias et les pouvoirs publics.

Cependant, l’articulation entre les différents composants du “numérique responsable” n’est pas toujours bien comprise. Dans le cadre d’opérations marketing ou de communication, de nouveaux termes apparaissent régulièrement. Ces nouveaux termes, lorsqu’ils ne sont pas partagés, contribuent à brouiller le message. Il nous est donc apparu essentiel de recentrer le sujet sur les termes qui font l’objet d’un consensus de la communauté, pour que tout le monde utilise les mêmes mots pour décrire les mêmes réalités.

Définitions

Le numérique responsable : est défini comme un ensemble des technologies de l’information et de la communication dont l’empreinte économique, écologique, sociale et sociétale a été volontairement réduite et/ou qui aident l’humanité à atteindre les objectifs du développement durable ».

France Stratégie(1) propose une autre définition avec un nouveau terme, la responsabilité numérique des entreprises comme  » un déploiement nouveau et incontournable de la RSE, qui se fonde sur les mêmes principes de redevabilité, d’éthique et d’échanges avec les parties prenantes des entreprises.

À savoir :

  • La responsabilité environnementale
  • La responsabilité éthique liée aux logiciels relatifs à l’intelligence artificielle
  • La responsabilité réglementaire liée à la protection des données
  • La responsabilité sociétale relative à la gestion et au partage des données, à la transformation des modes de travail, et à l’inclusion de toutes et tous ».

L’éco-conception : c’est concevoir des services ou des produits en prenant en compte systématiquement les aspects environnementaux avec un objectif de réduction des impacts négatifs tout au long de leurs cycles de vie.

L’éco-socio-conception ou la conception responsable : cette démarche étend celle d’éco-conception (environnement) aux autres dimensions du développement durable : sociale et économique.(2) La performance sociale est évaluée, notamment, par l’accessibilité numérique complétée de bonnes pratiques portant sur le respect de la vie privée, la diversité, l’inclusivité, l’éthique, etc.

D’une manière plus globale, on parle d’éco-socio-conception, dès lors en prend en compte le volet social (éthique, accessibilité, l’inclusivité…), en plus des questions purement environnementales et économiques.

État des lieux

Aujourd’hui, si nous nous interrogeons sur le réel impact du numérique, le bilan est loin d’être positif.

Sur le volet environnemental, peut-on se réjouir de posséder du matériel high-tech toujours plus performant, moins énergivore, si nous en changeons tous les ans et que sa fabrication repose :

  • Sur la consommation de ressources causant un désastre écologique à l’autre bout de la planète (à titre d’exemple : on estime que la fabrication d’un smartphone de 200g nécessite l’extraction d’environ 70 kg de matière première.(3) Si on considère, qu’il y a plus de smartphones en circulation que d’habitants sur terre, je vous laisse faire un rapide calcul et imaginer l’ampleur de l’impact environnemental),
  • Sur des conditions de vie désastreuses pour les populations locales, sur le travail des enfants,
  • Sur la création de déchets complexes qu’on ne sait pas traiter.

Les experts affirment que 4% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde sont causées par le numérique.(4)

A l’autre bout de la chaine de valeur, sur le volet social, même constat : si d’un côté le numérique connecte, de l’autre, il isole, il enferme, il exclue.

Voici le constat en quelques chiffres :

75 % des sites web par exemple sont inaccessibles à plus d’un milliard de personnes dans le monde présentant un handicap (visuel, moteur, malentendant …).(5)

En France, près d’un quart de la population souffre d’illectronisme.

Avec l’avènement des réseaux sociaux, le cyber-harcèlement s’est fortement aggravé. En 2019, plus de 40 % des moins 50 ans ont déjà subi des attaques répétées sur les plateformes sociales en ligne, dont 22% des jeunes âgés de 18 à 24 ans.(6)

Face à ce constat alarmant, que pouvons-nous faire en tant qu’acteurs du numérique ?

Les entreprises ont souvent tendance de se soucier de l’impact environnemental de leurs produits numérique et à objectiver leurs politiques environnementales uniquement au travers de l’énergie et de leur bilan carbone. Le simple exemple de la fabrication des smartphones illustre la complexité du problème auquel nous faisons face.

Impacts multiples et interdépendants

Environnementaux :

Les experts sont unanimes, nous faisons face à une crise environnementale sans précédent, qui remet en cause les conditions mêmes d’habitabilité de notre planète. Le dernier volet du rapport du GIEC publié le 4 avril préconise des changements globaux, radicaux et immédiats sur tous les aspects :

  • Réchauffement climatique,
  • Accès à l’eau potable,
  • Destruction des éco-systèmes.

Sociaux :

  • Droits de l’homme,
  • Accessibilité,
  • Ethique,
  • Etc.

Economiques (profit) :

  • Domination des plateformes numériques sur les marchés financiers.

5 mesures à appliquer tout de suite sur vos projets

L’erreur que l’on commet souvent est de penser que la technologie va à elle seule résoudre tous les problèmes. C’est rarement le cas lorsqu’on parle environnement et le numérique n’échappe pas à cette règle.

Si l’optimisation du code et de ses performances est un sujet à prendre en compte, ce ne sont pas quelques astuces appliquées en bout de chaine qui vont rendre un service beaucoup plus sobre.

Mesure #1 – Une entreprise plus vertueuse et responsable

Ce que nous dit l’ISO 26000, c’est qu’avant de penser au produit ou au service, il faut agir sur l’écosystème de l’entreprise dans son ensemble.

Les pratiques éthiques, les conditions de travail, la responsabilité sociale, le développement du territoire sont des prérequis incontournables si l’on veut se revendiquer de l’écoconception.

Dans le cadre de services numériques, une attention toute particulière doit être portée au choix des fournisseurs (matériel, énergie, hébergement, etc.) et intégrée à la politique RSE.

Notre première proposition consiste donc à faire le point sur vos contrats fournisseurs et à sélectionner un hébergeur responsable dans le cadre de votre nouveau projet.

Mesure #2 – Compatibilité des applications

On l’a vu dans la première partie de cet article, le matériel pèse lourdement dans le bilan environnemental du numérique.

L’un des premiers enjeux lorsqu’on conçoit un nouveau service numérique devrait être d’assurer une compatibilité avec des terminaux moins performants ou anciens pour retarder au maximum leur obsolescence.

Cette question de bon sens est souvent oubliée dans nos métiers où l’innovation technologique est mise en avant avec une durée de vie des PC et smartphones en constante diminution.

La simplicité, la sobriété et la frugalité devraient être les nouvelles tendances du numérique de demain.

Notre deuxième mesure consiste à tester vos applications sur du matériel ancien ou avec des performances limitées (par exemple un Raspberry  Pi ?) et à assurer une compatibilité avec le plus grand nombre possible de systèmes d’exploitations ou de versions de navigateurs.

Mesure #3 – Conception fonctionnelle et UX Design

Le service qui a le moins d’impact est celui qu’on ne produit pas.

Les Product Owners et les UX Designers maîtrisent déjà très bien une palette d’outils et de pratiques pour concevoir des services au regard des 2 axes fondamentaux que sont le coût et la valeur métier (MoSCoW, cartes d’impact, story mapping, design thinking, lean startup pour n’en citer que quelques-uns).

Ces différentes pratiques, qui ont été pensées pour favoriser l’appropriation par les utilisateurs et limiter les coûts financiers, doivent évoluer pour intégrer un nouveau critère : l’impact environnemental.

Un service qui n’est pas utile, utilisable et utilisé ne devrait pas voir le jour. Il en va de même pour un service dont l’impact environnemental serait trop important par rapport à la valeur pour les utilisateurs.

Troisième mesure, en phase de conception, faites la chasse au superflu !

Mesure #4 – Accessibilité, inclusivité

L’accessibilité numérique ne doit pas être vue comme une Nième contrainte règlementaire, mais comme un droit fondamental.

L’égalité des chances, l’inclusivité pour tous, font partie intégrante de l’éco conception.

Pour le handicap, en France, nous avons le référentiel RGAA (https://www.numerique.gouv.fr/publications/rgaa-accessibilite/) qui régit l’obligation d’être accessibles de façon équivalente à tout citoyen pour le service public et certaines catégories d’entreprises.

Au-delà du handicap, un service éco conçu se doit de se prémunir de toute forme de discrimination.

Un soin tout particulier doit être apporté aux contenus textuels et visuels pour prendre en compte la diversité et encourager les situations et les comportements vertueux pour l’environnement.

Quatrième mesure, respectez RGAA et optez pour des représentations plus inclusives.

Mesure #5 – Green IT

Les aspects techniques représentent l’une des dernières mesures pour assurer l’écoconception d’un service numérique.

Pour réduire la pollution numérique d’un site web ou d’une application, il suffit schématiquement d’appliquer toutes les bonnes pratiques d’optimisation déjà connues par les développeurs.

Se pose alors la question de la mesure et des indicateurs. Même s’il n’existe pas à ce jour d’outil ou de formules universelles il est possible d’assurer l’éco-conception avec un premier niveau d’indicateurs très simples :

  • Le nombre de requêtes : les requêtes http sont souvent synonymes de consommation de ressources. Optimiser leur nombre en agissant sur l’architecture technique ou par l’utilisation de préprocesseur est, dans la plupart des cas, une très bonne idée.
  • Le poids des pages : le poids des pages est à prendre dans sa globalité (pages, feuilles de style, scripts, médias). C’est souvent un bon indice de consommation de ressources. Vous devez agir sur le nombre et le poids des médias (exit les vidéos immersives qui embellissaient votre home page), sur les formats utilisés (je vous invite à jeter un coup d’œil du côté de Webp), sur la minification du code.
  • Temps de chargement : les deux critères précédents devraient avoir un impact majeur sur les temps de chargement de vos pages, mais il existe encore de nombreux facteurs pouvant les impacter. Des campagnes de tests de performances permettent d’identifier les sources de ralentissement. L’idée derrière ces tests est simple : plus un service est rapide, moins il consomme d’énergie, moins il génère de pollution.

Pour prendre en compte les aspects humains, on prendra soin de ne pas oublier le volet sécurité qui agit directement sur la protection des données personnelles.

En surveillant et en agissant sur ces inducteurs tout simples, on fait déjà de l’éco conception. Pour aller plus loin et sensibiliser les équipes IT, il existe des outils d’analyse spécialisés comme :

(Pour n’en citer que quelques-uns en libre accès).

Notre cinquième et dernière mesure : on prend soin d’aligner les volets technique et de sécurité avec le reste de la stratégie.

TL;DR

Vers un référentiel commun (RGESN)

Il est impossible d’écrire un article sur l’éco conception sans citer le best-seller de Frédéric Bordage « Eco-conception Web, les 115 bonnes pratiques » qui est régulièrement réédité et qui reste une référence.

Depuis peu, l’état a publié, dans le cadre de la mission interministérielle « Green Tech », un référentiel général d’éco conception de services numériques (RGESN). Cette initiative vient enfin proposer un référentiel commun, un guide que chacun peut et doit s’approprier.

Le mot de la fin

L’éco-conception, ça n’est pas si compliqué que ça, mais ça touche toute la chaine de valeur.

La plupart des bonnes pratiques sont déjà maîtrisées par les experts du numérique (concepteurs, UX designers, développeurs) sans forcément y coller une étiquette ou une intention d’éco conception.

Un projet de site web ou d’application est un travail d’équilibriste pour concilier les différents enjeux du numérique (référencement, performances, accessibilité, sécurité, image de marque).

Le plus grand défi, reste de les mesurer, de les piloter, et de faire de l’écoconception une priorité pour la stratégie des entreprises !

Sources

  • (1) Bettina LAVILLE, Ghislaine HIERSO, and Geoffroy de VIENNE. Responsabilité numérique des entreprises, 2021.
  • (2) Collectif-Conception-Numérique-Responsable. Pour une conception responsable des services numériques, 2014.
  • (3) ADEME : https://multimedia.ademe.fr/infographies/smartphone-version-ademe/
  • (4) ARCEP : https://www.arcep.fr/la-regulation/grands-dossiers-thematiques-transverses/lempreinte-environnementale-du-numerique.html
  • (5) https://formeotic-learning.com/accessibilite-site-web-et-outils-digitaux/
  • (6) IFOP : https://fr.statista.com/statistiques/973228/part-francais-ayant-deja-ete-cible-de-harcelement-selon-age/

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