Atelier Rétrospective Agile

Série d’articles “La Rétrospective Agile : une pratique essentielle, pas toujours bien comprise”

Episode n°2 : Eviter les chausse-trappes

Précédemment :
– Episode n°1 : Evolution de ma pratique

À venir :
– Episode n°3 : Aller plus loin

William Bartlett, dans son article “Où je me suis trompé sur l’agilité : la rétrospective“, s’interroge sur la pertinence de cette pratique et sur ses limites.

“Personnellement, ça fait deux ans que je considère que c’est la pratique agile qui apporte le plus de gaspillage. Si vous avez une expérience plus positive et que vos rétrospectives vous réussissent, tant mieux. Je serais intéressé d’échanger avec vous.”

— William Bartlett

Cette prise de position peut surprendre… mais elle résonne avec certaines observations que j’ai pu faire moi aussi.

Pendant longtemps, j’ai vu les rétrospectives comme un moment précieux, porteur de sens et d’amélioration continue. Je continue à penser qu’elles peuvent être extrêmement utiles, mais pas à n’importe quelles conditions.

Avec le temps, l’expérience et de nombreux échanges avec d’autres praticiens, ma façon d’animer et de concevoir les rétrospectives a profondément évolué. Cette série d’articles est l’occasion pour moi de revenir sur ce cheminement : ce que j’ai appris, ce que j’ai ajusté, ce que j’ai parfois laissé de côté, et surtout pourquoi.

Dans ce second épisode, je vous propose d’explorer les pièges à éviter. Quels sont les biais auxquels nous sommes confrontés durant un tel exercice ? Et surtout, quelles pratiques sont à notre disposition pour les éviter ou en limiter les effets. Quel format choisir pour maximiser l’impact positif de cette activité sur l’équipe.

Sommaire

1. Des espaces d’expérimentation de collaboration

S’il est bon, pour une équipe, d’avoir un temps dédié pour inspecter sa façon de travailler comme indiqué dans le Manifeste pour le développement Agile de logiciels :

À intervalles réguliers, l’équipe réfléchit aux moyens de devenir plus efficace, puis règle et modifie son comportement en conséquence.

Il est probablement illusoire, voire malsain, de soumettre l’équipe à une injonction de trouver toutes les 2 semaines des actions d’amélioration à ajouter dans sa liste des tâches à faire (backlog).

Ce qui est important, ce n’est pas de faire des rétros à chaque itération, c’est d’avoir assez d’espaces d’expérimentation et de collaboration. Cela peut inclure des temps de partage et veille technique, des Kata de code pour s’entraîner etc… 

On découvre que pour que la coopération fonctionne, il faut des espaces de délibération dans lesquels les gens discutent de “comment on fait”, et pas seulement de ce qui est efficace ou inefficace, de ce qui est vrai ou faux, mais aussi de ce qui est juste et injuste, de ce qui est bien et ce qui est mal, de ce qui est équitable.
[…] Or, cet espace de délibération est construit exactement comme l’espace public au sens d’Aristote, au sens de la cité. C’est l’espace public dans lequel les gens vont ouvertement confronter leurs opinions. Il s’agit, à propos du travail, de discuter sur quelle base se feront les accords, puis les accords normatifs en matière d’organisation du travail.

Le travail vivant – La Revue Pratiques Extrait d’un interview de Christophe Dejours – Psychiatre et Psychanalyste 

De mon expérience, les premières rétros sont souvent le lieu où l’équipe peut décider de la forme que prendront ces autres espaces d’expérimentation. La rétro est le point de départ pour en créer d’autres. 

Il est aussi possible de vivre la rétro, non pas comme un atelier de type remue-méninge/plan d’action, mais plutôt comme un point de mutation, une assemblée où l’équipe ajuste son mode de fonctionnement pour la suite, à partir de propositions élaborées en amont. C’est, en quelque sorte, l’assemblée législative de l’équipe

Ces propositions peuvent prendre la forme de RFC (Request For Change, inspirés des RFC “Request For Comment” du processus normatif autour d’Internet) comme dans l’entreprise Spotify très bien expliqué par Rachel Dubois dans sa conférence à Rennes en 2024. 

La prise de décision par consentement mutuel est un bon moyen pour affiner et adopter ces propositions en équipe. J’en ai parlé en détails dans ma conférence “Décider ensemble efficacement”

2. Limiter les biais individuels et collectifs

Les biais cognitifs individuels et collectifs sont inévitables, néanmoins certaines pratiques peuvent en limiter les effets négatifs. 

2.1 Eviter le biais de récence

Même si l’on fait le point régulièrement, c’est plus difficile de se rappeler de ce qui s’est passé au début de la période inspectée. 

Voici plusieurs pratiques qui peuvent limiter cet effet : 

2.1.1 – La frise chronologique 

Chaque membre de l’équipe vient écrire les évènements, dont il se souvient, et qui sont importants pour lui sur une frise chronologique de la période. 

Et même si ce récit est biaisé par notre mémoire, ce n’est peut-être pas très grave, ce qui compte c’est le récit collectif qui émerge du groupe. Une perception partagée de ce qui s’est passé pendant la période observée. 

2.1.2 – Partage de nos ressentis sous forme de courbes 

Chaque personne partage l’évolution de son ressenti au cours de la période observée, sous forme d’une courbe, et explique à quel moment c’était agréable ou désagréable pour elle et dit pourquoi. C’est très utile, surtout si les histoires individuelles sont très différentes. Cela permet à chacun de se rendre compte que tout le monde n’a pas vécu la même chose bien que nous soyons dans la même équipe. 

Cet exercice peut (ou pas) être combiné à la frise chronologique. 

2.1.3 – Bac rouge / Bac bleu 

Pour éviter d’oublier les problèmes ainsi que les bonnes idées : on peut réserver 2 espaces pour les stocker. Le bac rouge 💥 pour les problèmes rencontrés, le bac bleu 💡 pour les bonnes idées. Ainsi on reste focus sur la tâche en cours. Au moment de la rétro, le contenu des bacs est analysé. 

Le bac rouge comme analogie au Toyota Production System (TPS) dans lequel un bac rouge est réservé aux pièces défectueuses. Plutôt que de perdre du temps à réparer sur le moment, l’ouvrier met la pièce non conforme dans le bac rouge et continue son travail. Au bout d’une période le bac rouge est vidé pour analyse et éventuelles corrections. Ainsi, il n’y a pas d’interruption dans le travail et du temps est réservé à l’amélioration continue. 

2.1.4 – Les Kudo Cards 

Réserver du temps lors de la rétro pour des feedbacks positifs et des remerciements est un bon moyen de commencer l’atelier sur une note positive.

Mais pourquoi attendre ? Les Kudo Cards et la Kudo Box, outils issus du Management 3.0, sont un bon moyen d’exprimer sa gratitude auprès de ses collègues tout au long de l’itération. L’inspection du contenu de la boîte peut servir d’introduction à la rétro. 

Cela peut être bon un moyen d’introduire la culture du feedback dans une équipe. 

2.1.5 – Le Ticket d’or 

Il est dommage d’attendre la rétrospective pour réaliser des actions d’améliorations. Le Ticket d’or, attribué à chaque personne, correspond à un volume d’heure que chacun est libre de consommer (ou pas) à sa convenance (expérimentation, correction, veille, …) à la seule condition de montrer les résultats de son travail ou ses apprentissages au reste de l’équipe. 

Pour l’anecdote, cette pratique a permis de convaincre un de mes clients que la refonte d’un module, très mal conçu, était non seulement possible mais finançable grâce à la présentation, en revue d’itération, du résultat d’un petit prototype sur l’initiative d’un développeur alors que le reste de l’équipe avait baissé les bras face à cette difficulté. 

2.2 Eviter le biais de cascade

Le biais de cascade apparait lorsque les premières prises de positions influencent la suite des échanges. 

2.2.1 – Le Dot Voting à bulletin secret 

C’est pour cela que je n’utilise plus le vote par points (Dot Voting) si celui-ci n’est pas réalisé à bulletin secret. Heureusement, des outils comme de tableaux numériques comme Klaxoon ou Miro incluent cette fonctionnalité. 

2.2.2 – La Liberating Structure 1, 2, 4 Tous 

La séquence apportée par la Liberating Structure 1, 2, 4 Tous est très intéressante. Elle permet à chacun de commencer par réfléchir, en silence et par écrit à ses propres opinions. Puis d’avoir un premier en échange en binôme avant d’élargir la discussion. Cela permet aux personnes plus introverties de se sentir à l’aise et aux bavards de ne pas monopoliser les échanges. 

Et vous, quelles pratiques connaissez-vous pour limiter l’effet des biais individuels et collectifs ?

2.3 – Appropriation collective des idées 

Il est souvent difficile de laisser de côté les égos et souvent la discussion s’enlise car chacun reste campé sur ses positions. Voici 2 séquences qui permettent de conforter les idées entre elles sans savoir qui en est l’auteur. 

2.3.1 – Le 5 / 35  

Le 5 / 35 (ou le 35) est un jeu cadre de Thiagi qui permet de faire émerger les idées ou les points d’observation les plus intéressants en les confrontant les unes aux autres, de manière anonyme, en 5 rounds. 

💡A noter : cette séquence prend le même temps quelle que soit la taille du groupe. 

2.3.2 – Le storytelling collaboratif 

J’ai découvert le Storytelling Collaboratif lors d’un atelier animé par Charles-Louis De Maere à la conférence Agile Tour Nantes 2023. C’est un format dans lequel les idées se diffusent progressivement dans le groupe, suite à un certain nombre d’échanges en binômes. 

A la fin des échanges on ne sait plus qui est l’auteur de quoi. Les idées deviennent la propriété du groupe. 

2.4 Un format pour sortir des séquences courtes à base de post-it 

Les ateliers à base de séquences courtes où les idées sont matérialisées sur des post-it peuvent ne pas convenir à tout le monde.  

La Conversation Structurée (Focus Conversation) est un format plus proche d’une conversation informelle. Elle conviendra mieux aux personnes dont les préférences cognitives se tournent vers le temps long, l’oralité, l’auditif, un style plus “littéraire” à base de phrases complètes. 

Et vous, quelles pratiques connaissez-vous pour favoriser l’inclusion et la propriété collective des idées ?

3. Adapter le rythme et le format au contexte de l’équipe 

Il faut adapter le rythme et la durée des sessions ainsi que le format de l’atelier de rétro à la situation de l’équipe. Souvent, j’ai vu des équipes choisir le format de rétro sur des critères “cosmétiques”: seul l’habillage change (ex Mario, Halloween, Football, … ) le fond reste le même, ce qui peut induire une lassitude de l’équipe. De plus, la fréquence et la durée sont rarement questionnées.

3.1 Adapter le rythme et la durée à la situation de l’équipe 

Il faut adapter le rythme et la durée de cette activité à la situation de l’équipe : L’équipe est-elle à temps plein ou à temps partiel ? Est-elle dans une situation où les choses doivent évoluer rapidement ou au contraire le contexte est stable et performant et demande peu d’ajustement ? 

Savez-vous que dans la version 1 du Scrum Guide la rétro n’existait pas ? En effet l’amélioration continue se fait en continu. Les auteurs ne voyaient pas l’intérêt d’un évènement dédié. En pratique, les retours d’expérience ont montré que si n’y a pas de temps dédié pour ça nous avons tendance à ne pas le faire. 

C’est comme chez moi, si j’arrête de faire le ménage et les réparations, ma maison devient vite beaucoup moins agréable et utilisable. 

De plus, l’équipe est peut-être très à l’aise avec son mode de fonctionnement mais le reste du monde évolue. Les attentes changent et les interactions se modifient, des gens arrivent et d’autres partent. A intervalles régulier l’équipe doit ajuster son mode de fonctionnement pour rester en phase avec son environnement. 

La fréquence peut varier de 30 min chaque jour en situation de crise à une fois par trimestre ou même par semestre (quand d’autres espaces d’expérimentation et de partage sont en place). La durée de l’atelier dépend de la fréquence et du nombre de difficultés et des ajustements auxquels l’équipe est confrontée. 

3.2 Utiliser un format adapté à la situation de l’équipe 

Naveed Mirza et Emeline Boulet dans leur session La Rétrospective & Notre Rapport À L’Erreur à Agile Niort 2024 proposent, pour qualifier la situation de l’équipe, 3 niveaux en qualifiant l’écart que l’on observe par rapport à ce qui est attendu de l’équipe, en termes de livrables et/ou de modes de fonctionnement. 

En effet, la situation de l’équipe devrait guider la préparation de l’atelier. L’équipe doit-elle se sortir d’une crise ou bien juste optimiser ce qui marche déjà ? 
J’aime beaucoup cette idée de qualifier la situation de l’équipe avant toute chose. Je n’y avais pas forcément pensé avant cette session, maintenant c’est plus clair dans ma tête. 

J’ajouterai un premier niveau qui est la situation ou l’équipe est en train de se mettre en ordre de marche et où tout est à construire (les 1 ou 2 premières itérations / la phase de préparation). 

Typologie des situations : 

  1. Mise en route de l’équipe, rodage : mise en place des pratiques et des outils 
  1. Echec : l’équipe est en situation d’échec 
  1. Erreur : l’équipe fonctionne mais il y a des problèmes qui doivent être corrigés rapidement 
  1. Amélioration : l’équipe fonctionne, il y a des choses qui peuvent être améliorées 

Voici quelques idées pour guider la préparation (non exhaustives, ni exclusives) en fonction de la situation. 

3.2.1 – Mise route de l’équipe 

Situation

L’équipe est en phase de démarrage. Il faut définir le mode de fonctionnement et mettre en place les outils pour travailler efficacement (certains parlent de sprint 0, ou phase de préparation) 

Exemples

  • Il faut définir le mode de fonctionnement et mettre en place les outils pour livrer rapidement 
  • Les équipes doivent faire connaissance et découvrir les préférences de communication de chacun. 

Besoins :

Il faut rapidement mettre en place le cadre de travail minimum pour livrer rapidement de la valeur et être en mesure de recevoir les premiers feedbacks des parties prenantes. Il faut faire connaissance et créer une certaine intimité relationnelle pour établir un climat de confiance. 

Quoi faire :

Des pratiques de type : cohésion d’équipe (Personal Map, Manual of Me), remue-méninge, plan d’action et suivi 

3.2.2 – L’équipe est en situation d’échec 

Situation :  

L’équipe est en situation d’échec par rapport à ce qui est attendu (livrables et/ou mode de fonctionnement). 

Exemples :

  • L’équipe n’arrive pas à livrer. 
  • La communication est rompue. Certains acteurs refusent de travailler ensemble. D’autres viennent travailler la boule au ventre. 

Besoins :

L’équipe a besoin de sortir du chaos pour retrouver un fonctionnement nominal et regagner la confiance (en elle-même et avec ses partenaires). 

Quoi faire :

Pratiques de type gestion de crise. Faire cycles très courts (ex faire le point 30 min chaque jour ou tous les 2 jours), faire des petits pas, afficher des victoires rapides pour regagner la confiance, rétablir un fonctionnement minimal pour passer en situation 3 

3.2.3 – L’équipe est en situation d’erreur 

Situation :

L’équipe fonctionne à peu près mais Il y a des problèmes qui doivent être corrigés rapidement. Ou bien, l’équipe fonctionne et répond aux attentes, vis à vis des parties prenantes et du reste de l’organisation mais cette fois-ci il y une erreur ponctuelle qui est survenue.

Exemples :

  • L’équipe arrive à livrer mais il y a plein de bugs à corriger. 
  • La communication est globalement OK mais elle reste très difficile entre certains acteurs. 

Besoins :

L’équipe a besoin de comprendre ce qui c’est passé afin d’éviter que ce type d’erreur se reproduise à l’avenir.

Quoi faire :  

Des sessions de type résolution de problème (5 pourquoi, Ishikawa, Appreciative Inquiry), Augmenter ce qui fonctionne déjà bien. 

3.2.4 – L’équipe est en situation d’amélioration continue

Situation : 

L’équipe qui fonctionne globalement et répond aux attentes. Il reste des choses qui peuvent être améliorées et/ou optimisées. L’équipe est dans une situation où le principe d’amélioration continue est parfaitement adaptée.

Exemples : 

  • L’équipe livre régulièrement des choses qui fonctionnent et répondent aux attentes mais le processus de livraison reste fastidieux et pénible. 
  • La communication est fluide. Le respect est là. Néanmoins il est surement possible d’améliorer la qualité de notre écoute et de nos feedbacks. 

Besoins :

L’équipe a besoin d’optimiser ce qui peut l’être afin d’éviter le gaspillage et continuer d’être en accord avec son écosystème.

Quoi faire : 

Célébrer les succès. Mesurer ce qui compte vraiment pour savoir où mettre l’effort d’optimisation. 

Et vous, comment choisissez-vous le format adapté pour votre rétrospective ? Quels sont vos critères ?

Conclusion

Dans ce second article sur la rétrospective agile, je vous ai partagé :

  • Des idées sur la mise en perspective de cette activité par rapport à d’autres espaces de partage et d’expérimentation ainsi que son importance fondamentale pour la vie de l’équipe
  • Des pratiques pouvant limiter les biais cognitifs qui ont toutes les chances d’être convoqués lors de ce type d’exercice, ainsi que des formats favorisant l’inclusion et la propriété collectives des idées
  • Des réflexions et des pistes d’actions pour mieux choisir le format en fonction de la situation de l’équipe (rodage, échec, erreur ou amélioration)

Et vous, quelles autres pratiques avez-vous expérimenté ? Quelles sont celles que vous avez abandonnées ?

Prochainement

Bientôt, le dernier épisode sera disponible pour continuer et terminer cette série.

L’épisode 3 : Aller plus loin, abordera :

  • Le rôle délicat de l’Agile Master : guider sans imposer
  • La rétro comme moyen pour prendre soin de l’équipe
  • Rétrospective à l’échelle (quand plusieurs équipes sont concernées)
  • Ressources et références (articles, livres, vidéos, ateliers et jeux)

🎙️Restez à l’écoute !