Série d’articles “La Rétrospective Agile : une pratique essentielle, pas toujours bien comprise”

Episode n°1 : Evolution de ma pratique

À venir :
– Episode n°2 : Eviter les chausse-trappes
– Episode n°3 : Aller plus loin

William Bartlett, dans son article “Où je me suis trompé sur l’agilité : la rétrospective“, s’interroge sur la pertinence de cette pratique et sur ses limites. 

« Personnellement, ça fait deux ans que je considère que c’est la pratique agile qui apporte le plus de gaspillage. Si vous avez une expérience plus positive et que vos rétrospectives vous réussissent, tant mieux. Je serais intéressé d’échanger avec vous. »

— William Bartlett

Cette prise de position peut surprendre… mais elle résonne avec certaines observations que j’ai pu faire moi aussi.

Pendant longtemps, j’ai vu les rétrospectives comme un moment précieux, porteur de sens et d’amélioration continue. Je continue à penser qu’elles peuvent être extrêmement utiles, mais pas à n’importe quelles conditions.

Avec le temps, l’expérience et de nombreux échanges avec d’autres praticiens, ma façon d’animer et de concevoir les rétrospectives a profondément évolué. Cette série d’articles est l’occasion pour moi de revenir sur ce cheminement : ce que j’ai appris, ce que j’ai ajusté, ce que j’ai parfois laissé de côté, et surtout pourquoi.

Dans ce premier épisode, je vous propose un retour d’expérience : comment ma pratique a changé au fil des années et ce que j’en retiens.

Sommaire

  1. Au début était, l’étoile de mer
  2. Eviter « la purge »
  3. Evaluons-nous réellement l’impact de nos actions ?
  4. Rentrer dans le dur
  5. Un temps nécessaire pour un partage des ressentis
  6. Limiter la divergence des idées pour se concentrer ce qui compte vraiment 

1. Au début était l’étoile de mer

A mes débuts, comme beaucoup, j’ai fait simple en utilisant le format étoile de mer (Starfish). Et c’était bien : cela a généré des échanges et de la discussion, l’équipe a trouvé plein de pistes d’amélioration… un peu trop, en vérité ! 

C’est un format que je n’utilise plus : il génère facilement trop de divergence, de plus les catégories se chevauchent et entraînent de la confusion, des répétitions.

2. Eviter « la purge »

Un premier défaut que j’ai vu arriver assez souvent, notamment dans des équipes qui démarrent, ce sont des sessions de type « purge » où l’équipe râle beaucoup, souvent sur des aspects qui ne sont pas dans son domaine d’influence. On reporte la faute sur les autres et, finalement, il n’y a pas vraiment de pistes de solution.  

Exprimer les frustrations, c’est bien. Mais sans pistes d’action ça peut vite devenir anxiogène. Laisser la discussion dans l’espace des problèmes peut vite créer une ambiance délétère. 

Se projeter dans l’espace des solutions est plus agréable, plus motivant et donne de meilleurs résultats. Pour ce faire, il est intéressant de suivre des approches telle que Solution Focus. La Rétro 4L est plutôt bien pour ça. C’est un format dont je n’avais pas assez bien compris l’intérêt la première fois que je l’ai découvert.

La Rétro 4L c’est répartir les observations et constats, sur la période inspectée, en 4 catégories :

  • Like : Ce que j’ai aimé
  • Learn : Ce que j’ai appris
  • Lack : Ce qui m’a manqué pour bien travailler
  • Long For : Ce dont je rêve pour la suite

Si vous ne la connaissez pas, je vous invite à l’essayer.

3. Evaluons-nous réellement l’impact de nos actions ?

Un autre défaut très commun c’est de ne pas suivre les actions d’amélioration décidées ensemble mais surtout de ne pas évaluer leur impact. Le but n’est pas de réaliser les actions listées mais bien d’améliorer la situation. 

J’ai vraiment pris conscience de la non-évaluation quasi-systématique des impacts réels lors de la conférence « Les bons Scrum et les mauvais Scrum » par Alexandre Boutin à Agile Grenoble 2022.

3.1 – Un plan d’action avec intentions et observables

Désormais, je passe beaucoup plus de temps sur l’affinage des actions. J’invite l’équipe à décrire l’intention avant de lister des actions. Puis pour chaque action, j’invite l’équipe à préciser la définition des bénéfices attendus : que voulons-nous observer comme changements une fois l’action terminée ? Quels sont les métriques et/ou observables qui pourront nous montrer que l’action est un succès ? Un peu comme lorsque que l’on suit une approche OKR.  

J’observe souvent des aller-retours entre la description des actions et l’explicitation des observables attendus. En effet, parfois les attendus ne correspondent pas à la description de l’action : il faut peut-être imaginer une autre action ou bien affiner les observables. 

Le rôle du facilitateur de l’atelier est d’aider l’équipe dans ce processus d’affinage du plan d’action. Parfois les objectifs sont très intéressants mais trop ambitieux pour être atteints dans un intervalle de temps raisonnable. Dans ce cas, il faut guider l’équipe vers des premiers pas activables. Avec des questions du type : par quoi pouvons-nous commencer ? 

J’aime bien mettre les idées sous forme d’un tableau avec les colonnes suivantes : 

  • Intention / objectif 
  • Description de l’action 
  • Observables / Evolutions attendues / Futur désiré 
  • Porteur 
  • Échéance envisagée 

J’utilise aussi un modèle de fiche action pour aider des petits groupes à concrétiser leurs idées. 

Fiche Action
- Numéro
- Titre (verbe d'action + complément)
- Description
- Critères de succès
- Porteur
- Délais
- Obstacle potentiel
- Parade(s)

3.2 – Evaluer l’impact réel des actions

A la fin de la période, lors de la rétrospective suivante, il faut évaluer l’impact de nos actions. Pas seulement si les actions ont été réalisées ou non. Voici ce que l’on veut savoir : Qu’observe-t-on de différent dans notre environnement ? Est-ce bénéfique ? Y compris si ce n’est pas ce qui était attendu ! 

En préparant l’atelier, J’aime bien recopier le tableau du plan d’action en ajoutant une colonne : 

  • Nos observations : Que s’est-il passé ? Qu’observe-t-on aujourd’hui ? 

Et en supprimant la colonne “échéance” (normalement plus tellement utile, la période étant terminée). 

Intention /
Objectif
ActionObservables /
Futur Désiré
PorteurNos
observations

 

Cela est suffisant pour une période inspectée assez courte. Pour une période plus longue (par exemple trimestre ou plus), ou dans le cas d’un grand groupe, afin de faciliter les échanges et la remontée d’informations vraiment utiles, j’aime bien dédier une séquence à l’analyse en utilisant le format : Liberating Structure W3 (What, Now What, So What) par petits groupes (ou en binômes).

  • What : Qu’a-t-on observé (les faits) ?
  • Now What : Que peut-on en déduire (analyse) ?
  • So What : Que va-t-on faire maintenant (action) ?

4. Rentrer dans le dur

Au bout d’un certain temps, toutes les actions d’amélioration « faciles » ont été mises en place. Les formats de rétro généralistes ne permettent plus de passer assez de temps sur les sujets difficiles. C’est peut-être le moment de se concentrer sur certains sujets plus « difficiles » pour les explorer plus en détail. 

C’est aussi à cette époque que je me suis documenté pour améliorer ma pratique, notamment au travers des livres :

  • Agile Retrospectives: Making Good Teams Great de Esther Derby et Diana Larsen.
  • Games Storming de Dave GRAY, James MACANUFO et Sunni BROWN, notamment le chapitre qui parle de la conception d’atelier et de comment on peut chaîner les séquences, où les éléments en sortie d’une séquence sont les entrées de la suivante. 

4.1 – Quand toutes les actions « faciles » ont déjà été traitées 

La première fois que je me suis retrouvé dans cette situation, en tant que Scrum Master, j’ai proposé une rétro avec un thème que j’avais choisi moi-même. Et ça a plutôt bien marché. Cela nous a permis, en tant qu’équipe, de nous concentrer sur un problème important pour nous, à ce moment-là. Néanmoins, les membres de l’équipe ont exprimé de la frustration à ne pas pouvoir aborder d’autres sujets que celui mis à l’ordre du jour. 

Depuis, je procède différemment. Je propose de choisir parmi plusieurs thèmes ou je laisse émerger un thème de l’assemblée (soit en séance, soit en préparation à l’aide d’un sondage ou d’une boite à idée). 

Pour l’anecdote, le thème que j’avais proposé concernait la qualité de notre automatisation. Bien que beaucoup de choses aient été automatisées, la qualité de nos scripts et de notre code de test n’était pas au RDV et faisait peser un risque sur la pérennité de cette pratique dans notre équipe. Les actions qui ont émergé de ce constat ont porté sur la réécriture, la modularisation et l’introduction d’API spécifiques pour le code de test et les scripts d’automatisation.

4.2 – Quand l’équipe est dans le déni 

Dans le cas d’une équipe qui se retrouve un peu dans le déni, j’aime bien poser la question suivante : Quel est l’éléphant qui est dans la pièce dont personne ne parle ? (ou bien une autre question impactante du même type).  

Exemples :

  • La communication est mauvaise entre 2 membres de l’équipe à tel point qu’ils évitent de travailler ensemble. Et pourtant, ce sujet ne remonte jamais dans les constats.
  • Du point de vue de l’équipe tout va bien, et pourtant lorsque l’on interroge les parties prenantes la qualité n’est pas au niveau attendu et les délais sont inacceptables.

Au bout d’un certain temps, où les sessions commencent toutes par une question impactante, la question peut même devenir celle-ci : A votre avis, quelle est la question que je vais vous poser ? (Merci Kervin pour l’idée). Ceci dans le but d’inviter les membres de l’équipe à faire leur propre prise de recul.

Quel autre moyen pouvez-vous imaginer pour sortir une équipe de son déni ?

4.3 – Quand l’équipe se sent « coincée » 

Dans certains cas, c’est surtout du contexte que viennent les difficultés. L’équipe peut alors avoir l’impression d’être coincée et que rien n’est possible. 

L’atelier Fearless Journey est très utile dans ce cas, car il apporte à l’équipe des stratégies à essayer sous forme de 75 cartes. De plus, la forme de l’atelier donne envie de réfléchir à toutes les manières dont ces stratégies peuvent s’appliquer à la situation. 

Cet atelier est particulièrement utile pour une équipe de managers ou des personnes dont l’activité se situe dans la couche de coordination, au niveau de l’entreprise. 

En plus de tout ça, je laisse toujours un minimum de temps, au début, pour que chacun ait l’opportunité d’exprimer ses ressentis de manière ouverte afin de garder un équilibre entre les séquences guidées et la prise de parole libre. 

5. Un temps nécessaire pour un partage des ressentis

Il me semble important de commencer une rétro par un temps où chacun est libre de partager ses ressentis sans jugements. Nos émotions sont des éléments importants à prendre en compte et à partager dans notre analyse de la situation. 

C’est sûr que ce n’est peut-être pas si simple pour tout le monde, dans le contexte de l’entreprise où on a l’habitude de mettre un couvercle sur ses émotions. 

5.1 – L’aide précieuse du photolangage 

Une approche qui donne de bons résultats, le photolangage où j’invite chacun à choisir une image pour illustrer son vécu sur la période qui s’achève. Le partage est souvent plus intéressant et plus profond sous cette forme. 

💡Variante 1 : on peut choisir une chanson à la place d’une image 

💡Variante 2 : en mode empathique, on peut essayer de deviner pourquoi notre voisin de gauche a choisi cette image (pour cette pratique un certain niveau de sécurité psychologique est nécessaire). 

5.2 – Un partage anonyme pour esquiver de multiples biais 

Notre cadre de travail peut être aussi bienveillant que possible ça ne suffira peut-être encore pas. En effet, c’est notre propre rapport à l’erreur et à nos émotions qui intervient ici. Notre histoire personnelle, nos succès et nos échecs passés comptent aussi. 

Il y a de multiples biais individuels et collectifs qui peuvent être convoqués ici. 

A ce sujet, j’ai participé à une excellente expérience apprenante sous forme d’un atelier animé par Damien Roquel « Droit à l’erreur, enjeu personnel ou d’organisation ? » lors de la conférence Agile Tour Rennes 2024. 

Lors de cette simulation, nous avons expérimenté que partager nos ressentis de manière anonyme peut être un moyen pour esquiver un certain nombre de biais. 

5.3 – Deux questions impactantes

Pour évaluer les ressentis de manière un peu factuelle, j’aime bien poser les deux questions suivantes. Etes-vous en accord avec les affirmations suivantes : 

  • Je suis fier de ce que nous avons réalisé collectivement. 
  • C’est plaisant et confortable de travailler de cette façon. 

Il y a beaucoup de choses derrière ces 2 questions :  

  • La qualité, le sens et l’utilité du travail, la reconnaissance pour la question sur la fierté. 
  • L’ambiance, la qualité de l’écoute, la pertinence des outils à disposition, l’absence de pression excessive sur l’équipe pour le confort de travail. 

Je demande à chacun de donner son avis sur une échelle de 5 niveaux (le partage des avis peut être anonyme ou non suivant la situation de l’équipe) : 

  • Tout à fait 
  • Plutôt oui 
  • Bof 
  • Plutôt non 
  • Pas du tout 

Puis, je partage l’évolution des réponses (anonymisées) sur le tableau de bord des métriques de l’équipe. Le partage de ces données en revue m’a déjà permis de déclencher des actions managériales. 

Evolution du ressenti de l'équipe au cours du temps
Graphique 1 : Fierté
Graphique 2 : Confort de travail

Et vous, comment encouragez-vous le partage des ressentis ? Quels sont les formats qui donnent de bons résultats ?

6. Limiter la divergence des idées pour se concentrer ce qui compte vraiment 

Au fil des années j’ai pris conscience que limiter les idées ou ajouter des contraintes dans la phase de divergence (remue-méninges) peut grandement aider à conclure dans un temps raisonnable lors de la phase suivante de convergence. Une façon qui marche bien est de limiter les participants à une idée par catégorie. Qu’est-ce qui est vraiment important pour toi ? 

Désormais, je passe moins de temps sur la phase de collectes des données et beaucoup plus de temps sur la phase d’analyse et de plan d’action. 

La première idée de solution qui vient n’est pas forcément la bonne. Que se passerait-il si on faisait autre chose ? Que se passerait-il si on ne faisait rien ? 

Dans son article, Jean Michel Diaz propose d’utiliser le modèle en double diamant (inspiré de la démarche Design Thinking) : 2 phases de divergence-convergence, 1 fois dans l’espace des problématiques et 1 fois dans l’espace des solutions. 

Evolution du déroulé typique de mes rétrospectives (exemple en minutes sur un atelier d’1h30) 

Evolution du déroulé de mes Rétrospectives Agiles
Timing typique (en min) pour un atelier de 90 min

Conclusion

Dans cet article, j’ai expliqué comment ma pratique de la Rétrospective Agile a évoluée au cours du temps.

A partir de mes propres observations et expérimentations, combinées aux réflexions d’autres personnes, je vous ai partagé ce que j’ai changé depuis mes premiers pas de Scrum Master débutant naïf pour arriver à la combinaisons d’outils et de techniques de facilitation que je préfère actuellement.

Et vous comment avez-vous fait évoluer votre pratique ? Quelles techniques avez-vous abandonné ? Quelles découvertes ont fait la différence pour vous ?

Je serais très intéressé d’avoir vos retours.

Prochainement

Bientôt, 2 nouveaux épisodes seront disponibles pour continuer cette série.

L’épisode 2 : Eviter les chausse-trappes, abordera :

  • La rétro comme espace d’expérimentation et de collaboration
  • Limiter les biais individuels et collectifs 
  • Comment adapter le rythme et le format de l’atelier à la situation de l’équipe

L’épisode 3 : Aller plus loin, abordera :

  • Le rôle délicat de l’Agile Master : guider sans imposer
  • La rétro comme moyen pour prendre soin de l’équipe
  • Rétrospective à l’échelle (quand plusieurs équipes sont concernées)
  • Ressources et références (articles, livres, vidéos, ateliers et jeux)

🎙️Restez à l’écoute !